Carta 28. To Constantin Heger 24 July 1844
(page 48)
[Haworth]
Monsieur
Je sais bien que ce n'est pas a mon tour de vous ecrire, mais puisque Mde
Wheelwright va a Bruxelles et veut bien se charger d'une lettre—il me semble
que je ne dois pas negliger une occasion si favorable pour vous ecrire.
Je suis tres contente que 1'annee scolaire soit presque finie et que Tepoque
des vacances approche—j'en suis contente pour vous Monsieur—car, on m'a
dit que vous travaillez trop et que votre sante en est un peu alteree—C'est
pourquoi je ne me permets pas de proferer une seule plainte au sujet de votre
long silence—j'aimerais mieux rester six mois sans recevoir de vos nouvelles que
d'ajouter un atome au poids, deja trop lourd, qui vous accable—Je me rappelle
bien que c'est maintenant l'époque des compositions, que ce sera bientôt celle
des examens et puis, des prix—et pendant tout ce temps, vous êtes condamné
à respirer l'atmostphère desséchante des classes—à vous user—à expliquer,
à interroger à parler toute la journée et puis le soir vous avez toutes ces
malheureuses compositions à lire, à corriger, presqu'à refaire—Ah Monsieur! je
vous ai écrit une fois une lettre peu raisonnable, parceque le chagrin me serrait
le cœur, mais je ne le ferai plus—je tacherai de ne plus être égoïste et tout
en regardant vos lettres comme un des plus grands bonheurs que je connaisse
j'attendrai patiemment pour en recevoir jusqu'à ce qu'il vous plaira et vous
conviendra de m'en envoyer. En même temps je puis bien vous écrire de temps
en temps une petite lettre—vous m'y avez autorisée—
Je crains beaucoup d'oublier le français, car je suis bien persuadée que je
vous reverrai un jour—je ne sais pas comment ni quand—mais cela doit être
puisque je le désire tant, et alors je ne voudrais pas rester muette devant
vous—ce serait trop triste de vous voir et de ne pas pouvoir vous parler;
pour éviter ce malheur—j'apprends, tous les jours, une demie page de français
par cœur dans un livre de style familier: et j'ai un plaisir à apprendre cette
leçon—monsieur—quand je prononce les mots français il me semble que je
cause avec vous.
On vient de m'offrir une place comme première maîtresse dans un grand
pensionnat à Manchester, avec un traitement de ioo£ i.e. 2500 frs par an—je
ne puis pas l'accepter—car en l'acceptant je dois quitter mon père et cela
ne se peut pas—J'ai cependant mon projet—(lorsqu'on vit dans la retraite le
cerveau travaille toujours—on désire s'occuper—on veut se lancer dans une
carrière active) Notre Presbytère est une maison assez grande—avec quelques
changements—il y aura de la place pour cinq ou six pensionnaires—si je
pouvais trouver ce nombre d'enfants de bonne famille je me dévouerais à
leur éducation—Emilie n'aime pas beaucoup l'instruction mais elle s'occuperait
toujours du ménage et, quoiqu'un peu recluse, elle a trop bon cœur pour ne
pas faire son possible pour le bien-être des enfants—elle est aussi très généreuse
et pour l'ordre, l'économie, l'exactitude—le travail assidu—toutes choses très
essentielles dans un pensionnat—je m'en charge volontiers.
Voilà mon projet Monsieur, que j'ai déjà expliqué à mon père et qu'il trouve
bon—II ne reste donc que de trouver des élèves—chose assez difficile—car nous
demeurons loin des villes et on ne se soucie guère de franchir les montagnes
qui nous servent de barrière—mais la tâche qui est sans difficulté est presque
sans mérite—il y a un grand intérêt à vaincre les obstacles—je ne dis pas
que je réussirai mais je tâcherai de réussir—le seul effort me fera du bien—il
n'y a rien que je crains comme la paresse—le désœuvrement—l'inertie—la
léthargie des facultés—quand le corps est paresseux, l'esprit souffre cruellement.
Je ne connaîtrais pas cette léthargie si je pouvais écrire—autrefois je passais des
journées, des semaines, des mois entiers à écrire et pas tout à fait sans fruit puisque Southey, et Coleridge—deux de nos meilleurs auteurs, à qui j'ai envoyé certains
manuscrits en ont bien voulu témoigner leur approbation—mais à présent j'ai
la vue trop faible pour écrire—si j'écrivais beaucoup je deviendrais aveugle.
Cette faiblesse de vue est pour moi une terrible privation—sans cela savez-vous
ce que je ferais Monsieur?—j'écrirais un livre et je le dédierais à mon maître
de literature—au seul maître que j'ai jamais eu—à vous Monsieur. Je vous ai
souvent dit en français combien je vous respecte—combien je suis redevable à
votre bonté, à vos conseils, Je voudrais le dire une fois en Anglais—Cela ne se
peut pas—il ne faut pas y penser—la carrière des lettres m'est fermée—celle
de l'instruction seule m'est ouverte—elle n'offre pas les mêmes attraits—c'est
égal, j'y entrerai et si je n'y vais pas loin, ce ne sera pas manque de diligence.
Vous aussi Monsieur—vous avez voulu être avocat—le sort ou la Providence
vous a fait professeur—vous êtes heureux malgré cela.
Veuillez présenter à Madame l'assurance de mon estime—je crains que
Maria—Louise—Claire ne m'aient déjà oubliée—Prospère et Victo riñe ne
m'ont jamais bien connue—moi je me souviens bien de tous les cinq—surtout
de Louise—elle avait tant de caractère—tant de naïveté—tant de vérité dans sa
petite figure—
Adieu Monsieur—
votre élève reconnaissante
C Brontë
July 24th.
Je ne vous ai pas prié de m'écrire bientôt, parceque je crains de vous
importuner—mais vous êtes trop bon pour oublier que je le désire tout le
même—oui—je le désire beaucoup—c'est assez—après tout—faites comme
vous voudrez monsieur—si, enfin je recevais une lettre et si je croyais que vous
l'aviez écrite par pitié—cela me ferait beaucoup de mal—
II parait que Mde Wheelwright va à Paris avant d'aller à Bruxelles—mais elle
mettra ma lettre à la poste à Boulogne—encore une fois adieu Monsieur—cela
fait mal de dire adieu même dans une lettre—Oh c'est certain queje vous reverrai
un jour—il le faut bien—puisque aussitôt que j'aurai gagné assez d'argent pour
aller à Bruxelles j'y irai—et je vous reverrai si ce n'est que pour un instant.
Traducción al inglés.
Monsieur,
I am well aware that it is not my turn to write to you, but since Mrs
Wheelwright is going to Brussels and is willing to take charge of a letter—it
seems to me that I should not neglect such a favourable opportunity for writing to you.
I am very pleased that the school year is almost over and that the holiday
period is approaching—I am pleased about it on your account, Monsieur—for I
have been told that you are working too hard and that as a result your health has
deteriorated a little—That is why I refrain from uttering a single complaint about
your long silence—I would rather remain six months without hearing from
you than add an atom to the burden—already too heavy—which overwhelms
you—I well remember that it is now the time for compositions, that it will
soon be the time for examinations and after that for prizes—and for the whole
period you are condemned to breathe in the deadening aridity of the classes—to
wear yourself out—in explaining, questioning, speaking all day long, and then
in the evenings you have all those dreary compositions to read, correct, almost
re-write—Ah Monsieur! I once wrote you a letter which was hardly rational,
because sadness was wringing my heart, but I shall do so no more4—I will try to
stop being egotistical and though I look on your letters as one of the greatest joys
I know, I shall wait patiently to receive them until it pleases and suits you to send
them. But all the same I can still write you a little letter from time to time—you
have given me permission to do so. I am very much afraid of forgetting French,
for I am quite convinced that I shall see you again one day—I don't know how or
when—but it must happen since I so long for it, and then I would not like to stay
silent in your presence—it would be too sad to see you and not be able to speak to
you; to prevent this misfortune—every single day, I learn by heart half a page of
French from a book in a colloquial style: and I take pleasure in learning this lesson,
Monsieur—when I pronounce the French words I seem to be chatting with you.
I have just been offered a position as principal teacher in a large boarding school
in Manchester, with a salary of £100, i.e. 2,500 francs a year—I cannot accept
it—because acceptance would mean having to leave my father and that cannot
be—Nevertheless I have made a plan: (when one lives in seclusion one's brain
is always active—one longs to be busy—one longs to launch out into an active
career). Our Parsonage is a fairly large house—with some alterations—there
will be room for five or six boarders—if I could find that number of children from
respectable families—I would devote myself to their education—Emily is not
very fond of teaching but she would nevertheless take care of the housekeeping,
and though she is rather withdrawn she has too kind a heart not to do her utmost
for the well-being of the children—she is also a very generous soul; and as for
order, economy, strict organisation—hard work—all very essential matters in a
boarding-school—I willingly make myself responsible for them.
There is my plan, Monsieur, which I have already explained to my father and
which he considers a good one.—So all that remains is to find the pupils—a
rather difficult matter—for we live a long way from towns and people hardly
wish to take the trouble of crossing the mountains which form a barrier
round us—but the task which lacks difficulty almost lacks merit—it is very
rewarding to surmount obstacles—I do not say that I shall succeed but I shall
try to succeed—the effort alone will do me good—I fear nothing so much as
idleness—lack of employment—inertia—lethargy of the faculties—when the
body is idle, the spirit suffers cruelly. I would not experience this lethargy if I
could write—once upon a time I used to spend whole days, weeks, complete
months in writing and not quite in vain since Southey and Coleridge—two of
our best authors, to whom I sent some manuscripts were pleased to express
their approval of them—but at present my sight is too weak for writing—if I
wrote a lot I would become blind. This weakness of sight is a terrible privation
for me—without it, do you know what I would do, Monsieur?—I would write
a book and I would dedicate it to my literature master—to the only master that
I have ever had—to you Monsieur. I have often told you in French how much I
respect you—how much I am indebted to your kindness, to your advice, I would
like to tell you for once in English—That cannot be—it must not be thought
of—a literary career is closed to me—only that of teaching is open to me—it
does not offer the same attractions—never mind, I shall enter upon it and if I
do not go far in it, it will not be for want of diligence. You too, Monsieur—you
wanted to be a barrister—fate or Providence has made you a teacher—you are
happy in spite of that.
Please assure Madame of my esteem—I am afraid that Maria, Louise and
Claire will have already forgotten me—Prospere and Victorine have never
known me well—I myself clearly remember all five—especially Louise—she
had so much character—so much naivete—so much truthfulness in her little
face.
Goodbye Monsieur— | Your grateful pupil,
C. Bronte
July 24th.
I have not asked you to write to me soon because I don't want to seem importunate—but you are too good to forget that I wish it all the same—yes—I wish for it very much—that is enough—after all, do as you please, Monsieur—if in fact I received a letter and thought that you had written out of pity for me—that would hurt me very much.
It seems that Mrs Wheelwright is going to Paris before going to Brussels—but she will put my letter in the post at Boulogne—once more goodbye, Monsieur—it hurts to say goodbye even in a letter—Oh it is certain that I shall see you again one day—it really has to be—for as soon as I have earned enough money to go to Brussels I shall go—and I shall see you again if it is only for a moment.
Original MS in French BL Add. 38732 A.